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Ceux de la montagne
13 décembre 2010

La saison des Hommes : us et coutumes dans l'arc alpin

Parmi les coutumes typiques de l'aire alpine, les principales se déroulent pendant l'inalpage et sont étroitement liés aux soins du bétail. La montée à l'alpage et la désalpe en constituent les points culminants. La première sortie du bétail au printemps est aussi un évènement important, qui donne lieu à un certains nombres de coutumes et de réjouissances parmi les bergers. alpage_mont_blancDans les Alpes française, le départ des troupeaux pour la montagnette ou l'alpe commence généralement le jour de la fête de St Jean, considéré comme le patron des bergers et des pâtres. La veille du 24 juin, dans de nombreux villages de l'Isère, les sonnailles retentissent pour annoncer le grand évènement. Le matin de la St Jean on décore vaches et chèvres de bouquets ou de couronnes de fleurs et on mène aux champs avoisinant le village.
Cette première sortie donnait lieu à une course de vitesse entre les bergers ; le dernier arrivé était soumis à toutes sortes de moqueries humiliantes ; on le faisait, par exemple, chevaucher un âne à rebours, on le coiffait d'herbes malodorantes et on le nommait "litchibirrie" (lèche-baratte). On trouve de même coutumes en Carinthie ; le lundi de Pentecôte, le premier berger arrivé avec son troupeau sur la pâturage reçoit une couronne de fleurs, tandis que celui qui est resté endormi est tourné en ridicule, et l'on accroche une cloche en bois à sa première vache. Dans le pays de Berchtesgaden, la vachère qui montait pour la première fois à l'alpage recevait six coups de bâton rituels de la main du propriétaire de l'alpe ; les aides-vachers, les "mousses du chalet", recevaient aussi des coups de batte, quand le paysan venait inspecter son alpage. Vachère et valets devaient d'abord embrasser la batte avant d'être frappés, montrant ainsi qu'ils acceptaient ce rituel.
fromageLes cérémonies qui marquent la montée à l'alpage ou la désalpe prennent plus ou moins d'ampleur, selon l'importance qu'on attache au bétail dans les différentes régions de la zone alpine. On ne trouve pas partout le cérémonial joyeux et coloré qui se déroule sur le versant nord des Alpes suisses et dans certaines régions de la Savoie. Mais on retrouve partout des pratiques magiques destinées à protéger le bétail du malheur. Certains jours sont défavorables à la montée à l'alpe : le mercredi en Suisse allemande, le vendredi et souvent le mardi dans les régions latines. Parfois, la montée à l'alpage est liée à certaines fêtes fixes du calendrier : St Guy (15 juin), St Jean (24 juin), Sts Pierre-et Paul (29 juin), etc. Parmi les pratiques magico-religieuse de protection du bétail, on peut citer : des croix marquées sur le dos des bêtes avec une craie bénite, du sel saupoudré entre les cornes et l'enfumage de l'étable avec des rameaux bénis à l'église le dimanche des Rameaux? Accrocher de très grosses cloches au cou des vaches avait aussi, autrefois, une signification magique.
montee_alpageIl n'y a pas de cérémonies de montée à l'alpage dans les Alpes orientales. En revanche, la fête a lieu au moment de la désalpe, au mois de septembre, sauf s'il est arrivé un malheur pendant l'été.
La cérémonie de la montée à l'alpage revêt un caractère particulier dans le pays d'Appenzell, le Toggenbourg et la gruyère. En tête marche le maître fruitier en grand costume, la seille à traire richement ornée sur l'épaule gauche. La reine porte le tabouret à traire à un pied entre les cornes ; elle est suivie des autres vaches avec leurs gros "toupins" (cloches). Le personnel d'alpage défile dans un ordre bien déterminé, et le cortège se terminait autrefois par l'attirail de fromagerie tout reluisant : baratte, chaudière à fromage, seilles en bois, etc.
alpageressachauxLa montée à l'alpage, telle qu'elle se pratique dans le secteur nord des Alpes suisses, a été abondamment représentée dans la peinture populaire du XIXè siècle. Le fond de la seille démontable en érable, que le maître fruitier porte en grande pompe sur son dos, s'ornait, autrefois, de peintures naïves représentant la montée en alpage. Les peintres naïfs exécutaient sur commande des tableaux des troupeaux des paysans. Cette peinture naïve s'est développée en particulier en Gruyère, où les peintres s'attachèrent surtout à représenter la montée à l'alpage (la poya) des troupeaux avec leurs vachers. Les propriétaires de chaque troupeau fixaient ces tableaux au-dessus de l'entrée de leurs granges. Autant de documents sur le folklore local, comme on en trouve aussi dans le Salzkammergut, sur les porte-cuillers et autres petits meubles. Dans le Pays-d'Enhaut (Vaud) et dans le Simmental (Berne), les artistes naïfs représentaient aussi la montée à l'alpage et la désalpe en papiers découpés.
ReineDès l'arrivée à l'alpage, en Valais, dans les Grisons et dans le nord de la Savoie, se déroulent des combats de vaches, qui doivent désigner les "reines". Beaucoup d'éleveurs préfèrent d'ailleurs posséder la "reine de lait", c'est-à-dire la meilleure laitière, car, disent-ils, "on ne peut pas traire les reines (de combat) par les cornes".
Les fêtes d'été sue l'alpe ont lieu à des dates très différents selon les régions. Autrefois, dans les Grisons, on ne pesait qu'une fois par été le lait de chaque alpagiste ; et le jour du mesurage était une véritable fête populaire, à laquelle tout ce qui avait des jambes au village se rendait pour festoyer avec les bergers et les fromagers, danser et raconter des histoires. Beaucoup de fêtes d'alpage ont lieu à la St Jacques (25 juillet) ou le dimanche suivant ; d'autres, le jour de la fête de Ste Marguerite (20 juillet), de Ste Anne (26 juillet) et à l'Assomption (15 août).
Alpages_Suisse_M_Julien_sonnaillesLa veille de la St Jean et - en Valais- également de la fête des Sts Pierre-et-Paul et de l'Assomption, les bergers allumaient de grands feux sur les alpages pour avertir les gens du bas qu'on les attendait le lendemain avec de quoi manger et boire, et si possible de la musique. Sur les alpages du versant nord des Alpes suisses, où toute l'économie tourne autour du bétail et qui sont riches de traditions, les fêtes comportent des concours surtout centrés sur la lutte suisse (lutte au caleçon), et le jet de pierre. Bergers et vachers de divers alpages viennent prendre part à ces joutes, qui se terminent par des démonstrations de cor des Alpes, de jodel et de lancer du drapeau. En 1805 et en 1808, des représentations furent organisées par les autorités, à l'intention d'un public international, à Unspunnen près d'Interlaken. Mme de Staël les a décrites dans son ouvrage "de l'Allemagne" paru en 1810.
lutte"Enfin les jeux commencèrent et les hommes de la vallée et les hommes de la montagne montrèrent, en soulevant d'énormes poids, en luttant les uns contre les autres, une agilité et une force de corps très remarquables. Cette force rendait autrefois les nations plus militaires : aujourd'hui que la tactique et l'artillerie disposent du sort des armées, on ne voit dans ces exercices que des jeux agricoles."
Mais les jeux de force et d'adresse n'étaient pas réservés qu'aux fêtes seules. Outre la lutte suisse, un passe-temps favori des bergers d'alpage était la lutte au crochet : les deux partenaires se tiennent par le médius ou l'annulaire et essaient de faire trébucher l'autre. Ou encore la lutte au poing (bras de fer), où chacun tente de faire plier l'avant-bras de l'adversaire, coude calé sur une table.
charmant_somLes bergers ressentent souvent le besoin de perpétuer le souvenir de leur séjour et de leur travail sur l'alpe, en gravant leurs initiales et l'année dans le bois ou la pierre. On utilise parfois des planches à cet effet, où l'on grave aussi les dates de la montée et de la désalpe, et le nombre de têtes de bétail qui ont estivé. Dans les régions catholiques, on grave sur les arbres, les rochers ou les chalet des marques commémoratives pour les bergers et les fromagers morts accidentellement à l'alpage ; le nom et l'année sont généralement suivis d'une croix et du sigle R.I.P. Dans les Alpes orientales, on érige de petits monuments du souvenir, avec un récit de l'accident et une demande au passant pour prier pour le disparu.
Avant la désalpe, on doit procéder, sur les alpages en communauté, au partage des produits fabriqués pendant l'été, qui sont aussi précieux pour le paysan de montagne que les récoltes pour l'agriculteur. Ce partage est une opération difficile en raison des différences de qualité entre les meules de fromage. Il se termine souvent par une petite collation. Dans les Grisons, on rapporte les fromages sur des chars, on on accroche des bouquets de fleurs aux animaux qui les tirent et, certaines années, c'est un véritable cortège triomphal qui fait son entrée au village, accueilli par des enfants portant des drapeaux de rubans et de fleurs.
Mont_e_aux_alpagesQuand l'été s'est bien passé, on pare les vaches pour la désalpe. En Styrie, les reines portent autour des cornes un ornement multicolore en forme de cornet, les autres vaches de longs rubans flottants, et le cortège s'ébranle fièrement. Le taureau a droit à une parure spéciale ; en Styrie toujours, le bouvier qui le conduit est masqué et ,les mains passées à la suie, essaie d'attraper les femmes et les enfants pour les noircir. En cas de mort accidentelle ou naturelle d'un animal pendant l'inalpage, on supprime toutes les parures lors de la désalpe ; si la famille du propriétaire est en deuil, on accroche aux cornes des bêtes des couronnes noires, bleues ou violettes, que l'on conserve souvent pendant des générations.
chevrier_des_AlpesLa désalpe a aussi ses dates fixes, par exemple : l'Exaltation de la Ste Croix (14 septembre), la St Maurice (22 septembre, Valais), la St Michel (2ç septembre, Alpes occidentales et Uri). Mais les nuits froides et le givre obligent souvent à hâter le départ. Il arrive aussi qu'on fasse descendre d'abord les laitières et qu'on garde encore un certain temps les génisses d'après celles des foires au bétail, pour y vendre les bêtes avant le début de la stabulation.
Dans les Hautes-Alpes, la descente des troupeaux se fait sans ornements ; mais la veille de la désalpe les bergers des différents alpages se rendent mutuellement visite pour manger ensemble des mets traditionnels (lasagnes, beignets, etc.) Le soir, au milieu des danses et des chants, on allume des feux pour annoncer le retour aux gens de la vallée.
Sur les alpages savoyards la désalpe donnait aussi lieu à des repas traditionnels entre bergers. Les femmes montaient du village pour les préparer. On dansait au son de l'harmonica et l'on allumait aussi de grands feux. Souvent, on parait certaines vorarlbergervaches, la "reine de combat" et la "reine de lait", parfois même toutes les bêtes, l'ornementation pouvant être fort diverses. Au soir du retour au village, le bétail rentré dans les étables, les propriétaires invitaient bergers et fromagers à un repas copieusement arrosé ; on y chantait et on y dansait, célébrant ainsi le retour des bergers au sein de leur famille et de la communauté villageoise.
Selon une croyance répandue un peu partout dans les Alpes, en automne toutes sortes de génies venaient habiter les chalets d'alpages dès le départ des fromagers et du bétail ; on disait que des troupeaux fantômes conduits par des kobolds venaient hanter les lieux, ou même des bergers et des fromagers, qui revenaient expier leurs anciens forfaits.................... (Histoire et civilisations des Alpes, tome II Destin humain)

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